VD : Face au numérique : une binarité à questionner - 1/2022

VD : Face au numérique : une binarité à questionner

Il y a quelque temps, l’Educateur a fait place en ces pages à la présentation d’EduNum, projet phare du Centre LEARN (voir n° 9, paru le 22 octobre 2021) qui « pour objectifs principaux de réduire la fracture numérique, de préparer les citoyens de demain, d’œuvrer à l’égalité des chances et de développer des compétences d’analyse et de pensée critique » 1 . Concrètement, il s’agit de répondre à la stratégie de la CDIP pour une transition numérique dans l’éducation. Les autrices y présentent le travail de formation actuellement conduit et qui fait l’objet d’un « déploiement » progressif.

 

 

La revue Prismes de la HEP Vaud, parue en décembre 2021, consacre, elle aussi, la majorité de ses pages au numérique. Elle expose un panorama des expériences faites lors du premier confinement en mars 2020 et présente également celles en cours, notamment la Future Classroom Lab ou encore le FabLearn. Ainsi, « la HEP Vaud se tient résolument aux côtés de l’École, appelée à relever l’un des défis majeurs de ce siècle : préparer les élèves à devenir des acteurs-consommateurs avertis et critiques ( ... ). En un mot, faire d’eux des individus libres et responsables, dans une société ouverte et durable » ( p. 3 ).

Le canton de Vaud opérationnalise : le PER est complété depuis le mois d’avril 2021 et de nouveaux moyens d’enseignement sont créés ou à l’étude ( voir par exemple <dé>codage, destiné aux premiers degrés de la scolarité ). L’investissement financier est considérable : 30 millions de francs entre 2020 et 2022 ( dont 73 % ont été investis en 2020 ). « La priorité fixée par la conseillère d’État Cesla Amarelle consiste à développer la citoyenneté des élèves et leur esprit d’analyse dans le monde numérique qui les entoure », nous dit le bureau d’information du canton. 2

Oui mais ...

À l’heure du déploiement, d’autres voix se font entendre. Par exemple à travers la Société Vaudoise des Maitres·sse·s Secondaires ( SVMS ). Le Bulletin n°2, d’aout 2021, donne un point de vue radical quant à la numérisation de l’école vaudoise. Les auteurs remettent en question un choix de société, dénonçant successivement un marché lucratif pour les GAFAM 3 qui sont en mesure de fidéliser les enfants à leurs produits, le fait que les résultats scolaires ne sont pas au rendez-vous, la surconsommation d’écrans, l’accroissement des inégalités, les dangers sur la santé, l’absence de durabilité, la disparition d’emplois et enfin, la présentation d’un processus de numérisation idéologiquement neutre, soi-disant source de progrès pour toutes et tous. La SVMS questionne ainsi la voie dans laquelle le canton s’est engagé, sans qu’un débat public n’ait eu lieu. Entre le tout au digital et le rejet total de l’usage des outils, entre les techno-leaders et les techno-largué·es, entre un avenir radieux et un désastre absolu, les voix se cristallisent. Serait-il temps de décoder ( sic ! ) les questionnements et difficultés qui se posent actuellement à propos de l’éducation numérique ?

Quid du temps d’écran(s)?

Le temps d’exposition aux écrans fait l’objet de nombreuses opinions, tant dans les salles des maitre·sses, que dans la sphère familiale. Qu’en est-il aujourd’hui ? En 2020, un rapport de l’IRDP, intitulé Les effets de l’exposition aux écrans des enfants et des adolescent-e-s. Concepts-clés, revue de littérature et état des lieux des pratiques permet d’y voir un peu plus clair. S’appuyant sur quelques enquêtes conduites en Suisse, Shanoor Kassam et Romina Ferrari permettent de nous faire une idée de l’ampleur de la consommation numérique par les enfants et adolescent·es.

Considérant que le temps passé derrière les écrans n’est pas une donnée suffisamment précise pour saisir la consommation numérique, elles distinguent premièrement la nature des écrans utilisés ( télévision, smartphone, tablette et ordinateur ). Elles cherchent ensuite à comprendre les usages qui sont faits de ces supports en les regroupant dans quatre catégories : la consultation et la recherche ( de contenus textuels, audios, vidéos, web ou d’outils de référence ) ; la production et la création d’outils ( par exemple des photomontages ), l’échange et la communication ( usage de messageries et télécommunications ) et l’expérimentation et l’application ( de jeux, d’exercices, de simulations et modélisations ). On apprend ainsi que pour les enfants « de 6 à 12 ans, la durée quotidienne moyenne de consultation de contenus vidéos télévisés est d’environ 38 minutes, de contenus vidéos en ligne de 15 minutes, d’échanges sur la messagerie instantanée de 4 minutes et d’utilisation des jeux vidéos de 14 minutes » ( p. 27 ).

Quant aux effets de l’usage, il est relevé principalement des effets négatifs, dus à une surexposition, un usage détourné, ou non adéquat. Les autrices relèvent un manque d’études d’effets positifs, ce qui permettrait de traiter parallèlement les limites et apports des usages numériques. Par ailleurs, elles notent que « la plupart des études consultées portent sur l’usage des écrans dans le contexte domestique et notamment pour des activités de loisirs » ( p. 18 ) et indiquent que peu d’études ont eu lieu sur les usages du numérique en contexte scolaire.

Ces éléments sont corroborés par le rapport de l’OCDE ( PISA, 2018 ) 4 qui précise que « de nombreuses études ont montré qu’une utilisation excessive ou inappropriée des appareils numériques peut être liée à des risques tels que des résultats scolaires négatifs ou des problèmes dans la sphère sociale ( Park, Kang & Kim, 2014 ), à des risques de cyberintimidation ( Mascheroni & Olafsson, 2014 ) et plus généralement à la sécurité dans l’utilisation d’Internet ( Mainardi, Zgraggen, Nussio et Zanetti, 2012 ) » ( p. 39 ).

Le rapport PISA 2018 évoque tout de même les travaux de Hattie (2009) et Park et ses collègues (2014) qui mettent en évidence un effet nul ou négatif de l’utilisation d’un dispositif numérique sur les apprentissages scolaires. En découle une question entièrement ouverte : pour quelle(s) raison(s) ? Il semble que les acteurs divergent : est-ce dû à un usage inadéquat des supports dans les classes ? À un manque de formation des professionnel·les en littératie numérique ? À des études vétustes ?

Une chose est par contre certaine : il nous manque des études rigoureuses, actuelles et locales quant à l’usage des outils en lien avec la qualité des apprentissages. 

Qu’en dit Julie?

Julie est enseignante en 3-4P et fait partie de la cohorte formée dans le cadre du programme EduNum. Si elle est exaltée par la formation qui lui « ouvre l’esprit », elle se demande tout de même comment le « déploiement » sera réalisé et ce qui est attendu de son rôle. Certaines collègues sont « larguées », dit-elle. « Elles en sont à me demander comment on allume le TBI. » « C’est un gros challenge que de motiver les collègues. » À cela s’ajoutent l’écologie, les nouveaux moyens de math et de français. « On n’a pas de périodes supplémentaires, on va devoir trier. » Par ailleurs, elle remarque que pour l’instant, la mallette pédagogique reçue contient cinq IPads, ce qui fait environ une tablette pour quatre-cinq élèves. Comment gérer la classe dans ces conditions ? Face à l’incertitude, Julie s’adapte et cherche à tirer meilleur parti de ce qui lui est offert. « Book creator, c’est génial pour entrer dans la fusion syllabique ». 

 

1 https://www.epfl.ch/education/educational-initiatives/fr/center-learn/edunum-presentation/ (consulté le 27.12.21).

https://www.vd.ch/toutes-les-autorites/departements/departement-de-la-formation-de-la-jeunesse-et-de-la-culture-dfjc/direction-generale-de-lenseignement-obligatoire-et-de-la-pedagogie-specialisee-dgeo/actualites/news/14058i-education-numerique-nouvelles-etapes-du-deploiement/ (consulté le 27.12.21).

3 Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft

4 Téléchargeable ici : https://edudoc.ch/record/207400?ln=en

 

Sandrine Breithaupt

Les numéros complets de la revue, les dossiers pédagogiques et les articles qui les constituent peuvent être consultés par les abonné·es connecté·es.
Faute d’abonnement, il est possible de les obtenir au format PDF. [Numéro ou Dossier : 11 CHF; Article : 2 CHF.]
Si disponibles, des éditions imprimées des numéros de la revue peuvent être commandées à secretariat@revue-educateur.net.

S'abonner Accéder au numéro complet

SER

Secrétariat

Lundi, mardi, jeudi, de 08h00 à 16h30 et mercredi matin Av. de la Gare 40 / CP 416 1920 Martigny 1 Tél : 027 / 723 59 60

ser@le-ser.ch

CONTACTS

Bureau du Comité du SER

David Rey, président Tél : 079 / 371 69 74

d.rey@le-ser.ch

Olivier Solioz, vice-président

o.solioz@le-ser.ch

Pierre-Alain Porret, SG nommé

p-a.porret@le-ser.ch

Administration

Véronique Jacquier Darbellay

v.jacquier@le-ser.ch

Educateur

Secrétariat

Lundi, mardi, jeudi, de 08h00 à 16h30 et mercredi matin Av. de la Gare 40 / CP 416 1920 Martigny 1 Tél : 027 / 723 58 80

secretariat@revue-educateur.net

Rédactrice en chef

Nicole Rohrbach Tél : 078 / 742 26 34

redaction@revue-educateur.net

Prépresse et régie publicitaire

Sylvie Malogorski Défago Tél : 027 / 565 58 43

communication@revue-educateur.net