SPG : Réduire les inégalités : que peut faire l’école en réalité ? - 1/2022

SPG : Réduire les inégalités : que peut faire l’école en réalité ?

La SPG se mobilise depuis plus de 150 ans pour une école de qualité au bénéfice de toutes et tous. Tous les jours, je ne peux que constater sur le terrain l’indéfectible engagement des enseignantes pour réduire les inégalités dans les écoles primaires  genevoises et ce, dans un contexte de plus en plus difficile, parfois au détriment de leur santé. Inégalités qui se traduisent concrètement par le manque de ressources, en termes notamment de  formation, et d’équipement, dont disposent les enseignantes dont on exige in fine d’instruire tout en compensant les divers handicaps sociaux des élèves les plus fragiles, i.e. les inégalités économiques et sociales de départ.

 

 

Dans le cadre du débat organisé par le LIFE ( laboratoire de recherche innovation – formation – éducation ) le mardi 2 novembre en hommage à Walo Hutmacher, aux côtés d’Anne Émery-Torracinta, conseillère d’État en charge du DIP, Barbara Fouquet-Chauprade, maitre d’enseignement et de recherche en sociologie des politiques éducatives, et Priscille Dia-Laplace, enseignante d’allemand et doyenne au cycle d’orientation de Sécheron, j’ai tenté de répondre à la difficile question posée en cette occasion : que peut faire l’école pour réduire les inégalités en réalité ?

Si la consigne était de s’inscrire dans une vision « déniaisée », réaliste donc, j’ai renoncé très vite à cet exercice, peut-être par déformation professionnelle. Le principe de réalité en effet, enferme notre vision, bride notre imagination, inhibant ainsi toute velléité de penser de meilleurs possibles. Néanmoins, bonne élève, je tiens à présenter quelques données dressant un tableau réaliste des conditions dans lesquelles les enseignantes exercent aujourd’hui à Genève :

Genève est l’un des cantons suisses accueillant la plus grande hétérogénéité au sein de ses classes ( plus de 40 % d’élèves allophones ) ;

  • Genève est l’un des cantons où les effectifs de classes sont les plus élevés ;
  • Les élèves de l’école primaire genevoise sont parmi les moins chèr·es de Suisse ;
  • La stratégie néolibérale menée par les partis gouvernementaux de droite depuis les années 90 impose à l’ensemble des services publics et notamment à l’école primaire une politique d’austérité impactant irrémédiablement la qualité des services prodigués et ce, malgré l’engagement sans faille de la fonction publique qui compense l’insuffisance des ressources attribuées ;
  • Les écoles primaires genevoises doivent répondre depuis plusieurs années à une forte inflation démographique, mais le Grand Conseil refuse pour la deuxième fois tous les postes demandés par le DIP ;
  • Sur le terrain, le sentiment d’une augmentation des effectifs des élèves et d’une forte dégradation des conditions de travail est empiriquement ressentie, bien qu’elles soient le plus souvent niées par les autorités ;
  • Si les démocraties ont su massifier l’accès à la formation, le constat est malheureusement partagé et unanime, leurs écoles ne parviennent qu’à reproduire les inégalités sociales ;
  • Selon la perspective des sciences de l’éducation, seulement 10 à 30 % des compétences sont acquises par les élèves dans l’enseignement formel (à l’école) ;
  • Les élèves acquièrent donc leurs compétences principalement en dehors du système éducatif formel, dans l’éducation informelle et non formelle ( 70 - 90 % ).

À partir de ces quelques constats et avant de répondre à la question, il parait pertinent de se demander si l’école en tant qu’institution peut réduire les inégalités dans ces conditions ou même si tel est vraiment son objectif ? En effet, si selon la Loi de l’instruction publique ( LIP ) l’école a pour but « de tendre à corriger les inégalités de chance de réussite scolaire des élèves dès les premières années de l’école » ( art. 10, al. f ), dans les faits, l’école est soumise à des injonctions paradoxales et contradictoires. Les programmes et les discours prônent la solidarité, l’entraide, la coopération, l’acceptation de l’Autre, mais dans les faits, le fonctionnement même de l’école requiert la compétition individuelle, l’évaluation à outrance, la hiérarchisation des élèves et accepte la ségrégation des plus fragiles. L’institution telle qu’elle fonctionne concrètement, permet donc de tenir à distance les catégories inférieures en les stigmatisant, tout en les rendant responsables de leur situation.

Des urgences écologiques, sociales et démocratiques

Une véritable révolution culturelle serait donc nécessaire pour ajuster la réalité aux idéaux de la République. Une école qui tend à réduire les inégalités scolaires doit-elle s’ancrer dans une société qui cherche à réduire les inégalités sociales et non à les produire ? L’école actuelle peut-elle répondre à l’impossible injonction de réduire les inégalités d’une société capitaliste néolibérale dont le fonctionnement dépend des inégalités qu’elle génère ? Une société qui lutte contre une redistribution équitable des richesses en réduisant réforme après réforme l’imposition des grandes fortunes et des entreprises, au lieu de chercher à réduire le coefficient de Gini, tout en dégradant itérativement et irrémissiblement la qualité de la prestation des services publics ? Son amélioration est pourtant l’un des plus grands défis de notre époque, puisque l’offre efficace de biens publics constitue l’un des principaux déterminants de la qualité de vie et un volet important de la stratégie de réduction de la pauvreté.

Une école qui réduit les inégalités ne peut s’inscrire que dans une perspective égalitaire et émancipatrice qui offre aux élèves le temps d’apprendre et de se développer. Par ailleurs, pour relever les défis des crises écologiques, sociales et démocratiques, il devient vital de substituer l’idéologie individualiste et méritocratique actuelle par une idéologie de solidarité, d’entraide et de coopération. La question se pose donc : faut-il changer l’école pour changer la société ou faut-il changer la société pour changer l’école ? Selon Émile Durkheim, l’éducation « est avant tout le moyen par lequel la société renouvèle perpétuellement les conditions de sa propre existence ».

Une opposition farouche à l'égalité

Ainsi, à la fin de cette année et en vue de la nouvelle qui commence, il serait peut-être utile de faire le bilan de cette deuxième année de pandémie. Alors que le directeur général de l’enseignement obligatoire annonçait le 21 décembre – ce dont personne ne doutait – la prolongation de l’obligation du port du masque pour les élèves dès la 5P jusqu’au 24 janvier, il semble inepte que l’école ait été une année de plus incapable de mettre en place la moindre mesure pédagogique pour pallier l’impact des mesures sanitaires sur les conditions d’apprentissage des élèves. Les mesures sanitaires renforcent les inégalités qu’elles ont exacerbées et aucune réflexion n’est menée pour répondre aux besoins des élèves fragilisé·es par les conditions d’enseignement actuelles. Une augmentation de la violence des élèves est observée, ou du moins ressentie, dans les écoles, mais n’est nullement interrogée par les autorités.

Parallèlement à l’incapacité totale du DIP et de la DGEO à reconnaitre et prendre en main les besoins générés par la crise, le Grand Conseil a refusé tous les postes demandés pour l’OMP et pour répondre à l’inflation démographique.

Dans la perspective des prochaines votations, les enseignantes des écoles primaires devront se souvenir quels partis se sont opposés en 2021 à l’écriture inclusive, la réforme orthographique, le projet CO22, l’équipement numérique des écoles primaires et quels partis ont refusé les crédits nécessaires au maintien des conditions-cadres que nous dénonçons déjà comme insuffisantes ( sans surprise, ce sont un peu les mêmes ). Tant de mesures qui pourraient contribuer à réduire les inégalités. Par les luttes qu’ils mènent, ces partis ne se contentent pas en effet de défendre une école résolument inégale, mais ils s’opposent farouchement à l’égalité. Tout en accusant les pédagogues qui voudraient réduire le poids des notes, des examens, du redoublement, de la sélection précoce, d’être des gauchistes irresponsables, aveuglé·es par des conceptions égalitaires utopiques dont l’application finirait par causer l’effondrement total de l’école publique ( rien de moins ), ces offensives des conservateurs contre les idées de justice sociale, à l’école et ailleurs, masquent principalement les difficultés à donner les moyens matériels nécessaires à une éducation publique de qualité, et l’importance des efforts budgétaires auxquels cela suppose de consentir en période de crise économique. Au-delà des considérations économiques, les plus favorisés socialement profitent des inégalités générées et reproduites par le système de sélection actuel et il est à leur avantage qu’il se perpétue tel quel. Il nous revient donc de nous opposer à ce déterminisme social en construisant l’école pour laquelle nous luttons, celle qui réduit enfin les inégalités situationnelles. Aux pédagogues idéalistes, féru·es d’égalité, je dirais enfin, à l’instar de Lewis Carroll, « le meilleur moyen de réaliser l’impossible est de croire que c’est possible ». •

Francesca Marchesini, présidente de la SPG

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