Après avoir été victimes d’une quasi-éradication, les classes multi-degrés font leur retour en force. Malheureusement, leur (re)mise en place ne répond pas toujours à des objectifs pédagogiques.

L’actualité nous vaut parfois de jolis clins d’œil. Il en va ainsi du retour en vogue de ces classes multi-degrés dans la foulée de la régionalisation de notre école… au moment de la sortie en salles du beau film d’Yves Yersin. Il est assez piquant d’observer que ce qui s’annonçait comme la chronique de la disparition d’une des dernières classes «tous ordres» de notre canton apparaît dans une période où les classes multi-degrés séduisent toujours davantage de directions d’écoles. Face à ce dispositif, comme souvent, il n’y a pas de vérité absolue.

A plusieurs occasions toutefois, les résultats obtenus dans des épreuves normées ont plutôt mis en évidence un avantage aux élèves fréquentant les classes multi-degrés. Logiquement, on a alors souligné le gain en autonomie, mais aussi l’aptitude à l’entraide et un certain détachement face à la compétition entre pairs. Cerise sur le gâteau, les «petits» sont stimulés en observant le travail des «grands» et, dans une offre diverse, chaque élève trouve plus facilement ce qui l’aide à progresser. Bref, il semble n’y avoir, au pire, aucun impact notable sur les élèves et, même, le plus souvent un gain certain. Un tableau aussi idyllique devrait donc déboucher sur une généralisation de la pratique… Mais il faut quand même souligner que la maîtrise d’un groupe multi-âges requiert des qualités de souplesse de la part de l’enseignant-e, une certaine expérience et, c’est loin d’être évident, des moyens d’enseignement adaptés.

D’autres facteurs interviennent encore, bien sûr. Il est d’abord essentiel que le recours à des classes multi-degrés fasse partie de la culture locale, qu’il soit installé sur la durée et non sur une logique purement administrative ou arithmétique.

Dans nos écoles, ce n’est hélas pas forcément évident. Le groupe hétérogène peut apporter beaucoup à ses membres s’il s’inscrit dans la durée. C’est même le minimum qu’on puisse exiger des directions. En effet, la conduite de telles classes implique un important travail de préparation et de gestion de la part des enseignant-e-s, que l’on ne peut attendre que s’il y a un «retour sur investissement» à l’horizon… Dans le même ordre d’idées, c’est peut-être aussi le moment de s’interroger sur la formation dispensée dans ce domaine-là par la HEP.

Enfin, n’oublions pas quelques considérations supplémentaires, telles que le nombre de degrés, l’âge des élèves, l’effectif de classe et la part de travail en groupe restreint. Dans de mauvaises conditions, les meilleur-e-s enseignant-e-s auront beaucoup de peine à éviter le naufrage. J’ai vécu une situation pénible, il y a bien longtemps, avec une classe 10e/11e PP mise en place pour une année face à une volée aux effectifs importants. En l’absence de tradition de ce type, même dans des conditions matérielles correctes, il m’a été pratiquement impossible de former un groupe cohérent à l’abri des jalousies entre adolescent-es (les «grands» de 15 ans traitant ceux de 14 ans de petits gamins!).

Les classes multi-degrés reviennent à la mode, on peut s’en réjouir, mais, si on veut en tirer bénéfice (pas seulement pécuniaire), leur installation doit être le fruit d’un travail de réflexion partagé entre direction, enseignant-e-s et familles.