Pages ouvertes - 11/2022

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Les cours de langue et culture d’origine de portugais : regards de parents

 

 

Il existe en Suisse des cours de langue et culture d’origine (LCO) dans la plupart des cantons. Mis en place initialement dans les années 60-70, comme un outil facilitateur du retour au pays d’origine, ces cours sont aujourd’hui proposés dans l’optique de soutenir le développement des compétences linguistiques et culturelles supplémentaires que possèdent les élèves issus de la migration ( CDIP, 1991 ; Calderón, Fibbi & Truong, 2013 ; Giudici & Bühlmann, 2014 ). La recherche met effectivement en évidence que le plurilinguisme est une réelle force pour les élèves. Contrairement à certaines croyances : « Le fait de promouvoir la langue première n’empêche pas et ne ralentit pas l’apprentissage de la deuxième langue et des langues étrangères. Bien au contraire : disposer de bonnes compétences dans sa langue première constitue un avantage et permet d’accroitre ses chances professionnelles » ( Giudici & Bühlmann, 2014, p. 5 ).

 

Cours LCO : maintien du lien identitaire

À l’heure actuelle, l’organisation de ces cours varie selon les cantons, et la reconnaissance de leur activité également. Dans le canton de Vaud, vingt-deux langues sont proposées à l’enseignement dans le cadre des cours LCO 1. Par ailleurs, la loi sur l’enseignement obligatoire (LEO) annonce que « l’école apporte son soutien par des mesures d’organisation aux cours de langue et de culture d’origine mis en place par les pays ou les communautés d’origine, dans le respect de la neutralité religieuse et politique » ( article 8 ). Concrètement, le rôle du canton consiste principalement en la mise à disposition des locaux d’enseignement, l’offre pédagogique ainsi que l’engagement des enseignant·es restant du ressort d'organismes indépendants de l’école, au statut très varié ( consulat, associations, etc. ). Si les enjeux de reconnaissance ne sont pas nouveaux pour les cours LCO ( Calderón, Fibbi & Truong, 2013 ), le canton a récemment annoncé vouloir renforcer son soutien sur la question ( Haddou, 2021 ).

L’objectif de cet article est de présenter les résultats d’une recherche qualitative exploratoire menée dans le canton auprès de familles ayant eu recours au cours LCO en langue portugaise ( Pereira Banha, 2021 ). Les élèves de nationalité portugaise sont bien représenté·es parmi les élèves de LCO. En 2013, ils et elles étaient 2700 sur le total des 4145 élèves inscrit·es au LCO, suivi·es par les élèves inscrit·es au cours d’espagnol ( 876 ) et albanais ( 300 ) ( Calderón, Fibbi & Truong, 2013 ). Plus précisément, il s’agit de comprendre les raisons pour lesquelles les familles inscrivent leurs enfants aux cours LCO de portugais. Cinq familles ont été interviewées dans le courant de l’année 2020-21. Les résultats montrent les avantages que représentent ces cours du point de vue linguistique et interculturel, mais également les limites de ces derniers concernant leur accessibilité, leur organisation et leur reconnaissance.

Lors des entretiens, les parents ont reconnu la plus-value de ces cours de langue et culture d’origine qu’ils nomment « l’école portugaise », et ce pour le développement linguistique et culturel de leurs enfants. L’apprentissage du portugais, dans ce cadre-ci, est un facteur de choix pour les parents qui souhaitent que leurs enfants soient capables d’utiliser la langue de manière correcte. Le cours de LCO vient ainsi compléter l’apprentissage de la langue qui a lieu à la maison. Les parents ont en effet relevé l’intérêt particulier que ces cours représentaient face à l’acculturation scolaire en classe ordinaire et son monolinguisme francophone. La maitrise de la langue était considérée comme un objectif essentiel pour non seulement communiquer avec la famille au Portugal, et maintenir un lien identitaire, mais également dans une perspective pragmatique de capacité à suivre la scolarité dans un système lusophone ( en cas de retour ou d’études à l’étranger ). À cette fin, ils relèvent l’apport que représente un cours LCO qui permet de développer les compétences de production orales et écrites. Les participant·es dont les enfants ont terminé la formation LCO, ont pu remarquer une meilleure utilisation du portugais dans la sphère privée, en constatant notamment l’usage du portugais entre enfants de même qu’avec les parents. Ainsi, l’école portugaise semble satisfaire les attentes des parents au regard de ses objectifs pédagogiques d’enseignement de la langue d’origine.

Concernant son objectif de formation culturelle, la LCO a également favorisé l’immersion des enfants dans la culture de leurs parents, puisqu’à travers ces cours, ils·elles en apprennent plus sur l’histoire et la géographie du pays. C’est aussi l’opportunité pour les enfants de découvrir des accents ou anecdotes culturelles d’autres régions que celle de leurs parents, fréquentées en vacances. C’est en effet une des forces de cette école de langue et culture d’origine, évoquée par une participante en ces termes :

« Avoir une idée de ce Portugal, ce que c’est, ce que [ce] n’est pas, en dehors des succès sportifs et de toute cette capacité d’identifier les noms des meilleurs joueurs et ces personnalités [le Portugal] a une histoire, une culture très importante ( … ) donc ça, je pense que c’est intéressant, de voir ce côté culturel. »

 

Un manque d'information, parfois

Ainsi, pour les familles, les cours de LCO s’inscrivent donc dans une logique transnationale de préservation du lien avec le pays d’origine ( Marques & Góis, 2008 ). Dans le pays d’accueil, ils permettent aux familles de maintenir une activité linguistique importante aux yeux des familles. Par ailleurs, ils favorisent également le développement des compétences linguistiques avérées, complétant ainsi l’apprentissage réalisé au sein des familles. Dans le même ordre d’idée, la dimension culturelle des enseignements LCO apparait pertinente pour enrichir la perspective interculturelle des élèves et par cela déconstruire les stéréotypes autour de la culture portugaise.

Néanmoins, les satisfactions relevées par les familles s’accompagnent de certaines déceptions concernant leur expérience avec les cours LCO. La majorité des parents relèvent un accès difficile à l’information concernant les modalités d’inscription et les contenus 2. La prise de connaissance sur les cours LCO se fait principalement par le bouche-à-oreille, au sein de la communauté. Un seul couple a eu accès à l’information via l’enseignante de l’école obligatoire. Ce constat interroge l’efficacité de la communication de l’institution scolaire obligatoire, qui reste l’institution de référence pour les familles, et appelle à une meilleure diffusion de l’information auprès de ces dernières.

 

Attention à la charge de travail

Les familles mettent également en évidence une crainte de surcharge pour leurs enfants. Les cours ont lieu en dehors du temps scolaire, à raison de deux heures hebdomadaires le mercredi après-midi, deux heures que les parents aimeraient voir consacrées à la charge de travail habituel (devoirs et révisions) :

« Nous avons discuté, en tant que parents, la question de la surcharge … on est un peu inquiets ( … ) donc on prévoit dans un futur, où nous savons que le travail va augmenter de plus en plus. On débat à quel point l’école portugaise va être une surcharge avec ce qu’elle aura à affronter. » « Dans la lignée d’autres travaux de recherche, les parents interrogés montrent ici une lecture pertinente des enjeux de l’école, contrairement à ce qui est parfois entendu dans les écoles autour d’un soi-disant « désinvestissement » des familles ( Périer, 2012 ; Changkakoti & Akkari, 2008 ). Ils mettent en balance la plus-value du cours LCO au regard de la charge de travail qu’ils connaissent lourde à porter pour les élèves ( ils utilisent le terme « affronter » ). Ils ne voudraient pas que cette école du mercredi après-midi entrave le bon déroulement de la scolarité obligatoire. On peut mettre en évidence l’obstacle que représente ici cette charge de travail, amenée par le système scolaire obligatoire, à la possibilité d’un suivi des cours LCO et donc au développement des compétences linguistiques et culturelles de ces élèves.

Un plurilinguisme à valoriser

Enfin, une insatisfaction importante relevée par les parents est le manque de reconnaissance de ces cours, tant par l’école obligatoire que par le monde professionnel. Même si la formation de l’école portugaise se conclut par un certificat, attestant le niveau C13, les parents n’y voient pas vraiment de bénéfice, si ce n’est dans une éventuelle perspective de retour au pays. Selon eux, le certificat n’a de valeur qu'en Suisse. Ce constat souligne la nécessité d’œuvrer pour la reconnaissance institutionnelle de ces enseignements ( place décente à l’horaire scolaire, reconnaissance des progrès et des notes de l’élève ), mais également de rendre plus visibles, scolairement et socialement, les bénéfices du plurilinguisme, car, au-delà de la valeur pragmatique de la communication en langue d’origine, la plus-value du plurilinguisme s’étend dans plusieurs domaines d’apprentissage sociaux et cognitifs.

Cette étude montre également en filigrane les difficultés du système scolaire obligatoire et postobligatoire à valoriser concrètement le plurilinguisme existant – et latent – et à le transformer en ressource pour l’ensemble des élèves ( Bauer, Borri-Anadon & Laffranchini Ngoenha, 2019 ). Pour que les cours LCO puissent être perçus comme une opportunité pour l’avenir en Suisse, les premiers leviers d’action nous semblent relever de la responsabilité du système scolaire obligatoire, dans la reconnaissance effective qu’il donne à cet enseignement et à la levée des obstacles entravant son accessibilité. 

 

Leonardo Pereira Banha & Stéphanie Bauer

 

 

1 https://issuu.com/villedelausanne/docs/2019_bli_apprendre_a_lausanne_web_cours_langue_cul
2 À noter que le site présentant les cours LCO en portugais a récemment été mis à jour (https://epesuica.ch)
3 Selon le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR)

 

Références bibliographiques

Bauer, S., Borri-Anadón, C. & Laffranchini Ngoenha, M. (2019). Les élèves issus de l’immigration sont-ils des élèves à besoins éducatifs particuliers ? Revue hybride de l’éducation, 3(1), 17-38.

Calderón, R., Fibbi, R. & Truong, J. (2013). Situation professionnelle et besoins en matière de formation continue des enseignants-e-s des cours de langue et culture d’origine (LCO) une enquête dans six cantons : BE, GE, JU, LU, SO, VD.

Changkakoti, N. & Akkari, A. (2008). Familles et écoles dans un monde de diversité: au-delà des malentendus. Revue des sciences de l’éducation, 34(2), 419-441.

Conférence des directeurs de l’Instruction publique [CDIP] (1991). Recommandations concernant la scolarisation des enfants de langue étrangère. https://edudoc.ch/record/25485/files/EDK-Empfehlungen_f.pdf

Giudici, A. & Bühlmann, R. (2014). Les cours de langue et culture d’origine (LCO) : un choix de bonnes pratiques en Suisse. Secrétariat général de la CDIP.

Haddou, R. (2021, 3 novembre). Enseigner les cultures d’origine : « pour l’État, nos cours ne comptent pas vraiment ». 24 heures. https://www.24heures.ch/pour-letat-nos-cours-de-langue-ne-comptent-pas-vraiment-349019910347

Marques, J. C. & Góis, P. (2008). Pratiques transnationales des Capverdiens au Portugal et des Portugais en Suisse. Revue européenne des migrations internationales, 2, 147–165.

Pereira Banha, L. (2021). L’école portugaise et les enjeux de la transmission de la langue et culture d’origine aux enfants d’immigrés portugais. ( Mémoire de Master, Haute école pédagogique du canton de Vaud ). Patrinum. https://patrinum.ch/record/297626?ln=fr

Périer, P. (2012). De quelques principes de justice dans les rapports entre les parents et l’école. Éducation et didactique, 6(1), 84-95. https://doi.org/https://doi.org/10.4000/educationdidactique.1305

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