Les pouvoirs du rire - 1/2023

Les pouvoirs du rire

Libération d’endorphines, de dopamine et de sérotonine, le rire crée des liens, renforce la motivation et participe à la sensation de plaisir … Entretien avec Jean-Marie Annoni et Micaela de Weck, du Département de neurosciences de la Faculté des sciences et de médecine de l'Université de Fribourg.

 

 

 

« Rire et cerveau », était un thème de la Semaine du cerveau 2022 ; quels liens mettre en valeur entre rire et cerveau ?

Jean-Marie Annoni et Micaela de Weck : Au niveau cérébral, une expérience faite à l’Université de Fribourg, ainsi que d’autres expérimentations du même type, ont montré que le rire implique les centres du tronc cérébral et de l’hypothalamus ( Wattendorf et al., 2013, 2022 ). La perception du rire, quant à elle, recrute les aires différentes, dans les aires motrices et frontales du cerveau, qui sont également impliquées dans le système miroir. Les neurones miroirs sont une classe de neurones qui s’activent aussi bien lorsque l’on exécute un geste précis ( par exemple lancer une balle ) que lorsque l’on observe quelqu’un faire cette même action. Le système neuronal miroir serait un mécanisme adaptatif permettant la compréhension et ainsi l’imitation des actes de tiers et ce, dans le but de renforcer la cohésion d’un groupe. On a ainsi utilisé la formule de « neurones ayant façonné la civilisation » pour souligner l’importance de ce système, ( Ted Talk, V. Ramachandran, 2009 ). Ce système miroir semble donc impliqué dans la transmission du rire. En outre, le cortex insulaire est crucial à la fois pour la production des mots et du rire  (Wattendorf et al., 2016 ), ce qui montre que le cerveau intègre également le rire dans la communication.

 

Quels sont, selon vous, les bienfaits du rire du point de vue physiologique, psychologique et social ?

Plusieurs études expérimentales ont démontré que le rire avait un impact positif sur le stress, renforçait le système immunitaire, diminuait les réponses allergiques ainsi que le taux de glucose sanguin post-prandial chez les patients diabétiques et améliorait la fonction des vaisseaux sanguins. Par ailleurs, le rire aurait un effet positif sur des maladies psychiques telles que la dépression, les troubles anxieux ou les troubles du sommeil.

Dans une étude récente faite avec des personnes ayant subi et souffert du tremblement de terre de Fukushima, les sujets qui avaient l’habitude de rire tous les jours développaient moins d’hypertension et parfois moins de diabète, de cholestérol ou de maladies cardiaques ( Eguchi E., Ohira T. et al., 2021 ).

 

Il y a de la chimie dans le rire : dopamine, endorphine et neurotransmetteur seraient produits lors d’un éclat de rire ou d’une bonne chatouille ?

Dans le cerveau, le rire déclenche la libération d’endorphines ( c’est-à-dire les opiacés endogènes, ceux produits par des neurones cérébraux ), de sérotonine et de dopamine, communément appelées les « hormones du bonheur ». Les endorphines favoriseraient le lien social et élèveraient les seuils de perception de la douleur ( on ressentirait moins facilement la douleur ) ( Manninen et al., 2017 ). La sérotonine est impliquée dans la régulation du comportement, de l’humeur et de l’anxiété, comme le font certains antidépresseurs agissant précisément sur les récepteurs sérotoninergiques. La dopamine ou « l’hormone de la récompense », quant à elle, renforce la motivation et participe également à la sensation de plaisir et de bien-être.

Par leurs actions, ces hormones diminuent la libération d’autres hormones, celles du stress, tel que le cortisol, qui, si elle est chronique, peut user les systèmes cardiovasculaire, métabolique et immunitaire au fil du temps.

 

Rire, une forme de communication ?

Le rire est très contagieux et a une forte composante sociale. Il se répand mieux en groupe que s’il n’y a que deux personnes. L’origine ou la cause de sa contagion, à savoir est-ce le rire en lui-même ou la situation sociale dans lequel il se produit, n’est cependant pas tout à fait clair. Une étude a évalué la contagion du rire dans un cadre quasi-expérimental: des élèves d’une classe se sont vu présenter dix répétitions consécutives d’un échantillon de dix-huit secondes de rire artificiel et devaient indiquer par écrit s’ils avaient ri ou souri lors d’un essai donné. Au départ, le stimulus déclenchait à la fois le rire et le sourire, mais sa contagion diminuait continuellement avec le temps; pratiquement personne ne riait ou ne souriait après dix répétitions ( Provine, 1992 ). Dans une étude que nous avons menée à l’Université de Fribourg, nous avons observé et analysé la contagion du rire chez une personne seule, donc sans l’influence d’un groupe social, en présentant des vidéos et des enregistrements audio de rires. On a pu remarquer que le rire reste très contagieux ( plus encore que le bâillement ), même si la personne est seule. La contagion du rire s’est toutefois manifestée principalement sous forme de sourire et non de rire. Parmi les différentes modalités, la forme audiovisuelle ( vidéos et enregistrements auditifs simultanés ) s’est révélée la plus contagieuse. Le rire auditif était par ailleurs plus contagieux que le rire visuel ( de Weck et al., 2022 ). En conclusion, le rire se transmet bien en groupe, mais vous pouvez donc vous entrainer à rire même lorsque vous êtes seul·e !

 

Rire inné ou acquis ?

Le sourire et le rire sont des comportements innés dans le sens qu’ils se retrouvent de manière universelle chez l’humain. Ils s’acquièrent toutefois au cours de la petite enfance, vers six semaines pour le sourire et quatre mois pour le rire ( Sroufe et Waters, 1976 ) et peuvent être considérés comme la forme la plus précoce de communication dyadique, car ils ne se produisent initialement qu’entre le nourrisson et les personnes qui s’occupent de lui. Dès qu’ils apparaissent, le sourire et le rire sont contagieux : le rire et le sourire d’un individu déclenchent le même comportement chez ceux avec qui il interagit. Leur but communicatif serait de prolonger et d’étendre les interactions sociales et de signaler l’affiliation  (Provine, 2013 ). Le rire est donc inné, même s’il trouve son expression accomplie en société.

 

Rire est-il le propre de l’homme, vraiment ?

Le rire est un comportement phylogénétiquement récent qui a longtemps été considéré comme exclusif aux primates hautement sociaux : les humains et les singes. Il semblerait cependant que d’autres espèces animales, tels que les rats ou les chiens, émettraient des vocalisations caractéristiques similaires au rire humain lors d’interactions sociales s’apparentant au jeu ou lors de stimulation manuelle telle que le chatouillement ( Panksepp & Burgdorf, 2003 ). La question de savoir si ces vocalisations reflètent un type d’affect positif semblable à la sensation de joie observée chez l’humain reste encore ouverte. La forme caractéristique du rire humain ( une vocalisation stéréotypée générée par des contractions rythmiques rapides involontaires du diaphragme et des muscles intercostaux au cours d’une expiration prolongée qui produit des éclats vocaux d’environ 60 ms répétés toutes les 200 ms avec une structure harmonique claire ( Szameitat et al., 2011 ), n’apparait, elle, que chez l’homme. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le rire des malentendants congénitaux présente les mêmes propriétés acoustiques que celui des personnes entendantes ( Makagon et al., 2008 ), ce qui indique que le rire est un signe de communication émotionnelle profondément ancré dans la biologie humaine. 

 

Jean-Marie Annoni & Micaela de Weck, Département de Neurosciences, Faculté de Science et Médecine, Université de Fribourg

 

 

Références

 
Wattendorf, E., Westermann, B., Fiedler, K., Kaza, E., Lotze, M. & Celio, M. R. (2013). Exploration of the neural correlates of ticklish laughter by functional magnetic resonance imaging. Cereb. Cortex 23, 1280–1289. doi: 10.1093/cercor/ bhs094

 

Wattendorf, E., Westermann, B., Lotze, M., Fiedler, K. & Celio, M. R. (2016). Insular cortex activity and the evocation of laughter. J. Comp. Neurol. 524, 1608–1615. doi: 10.1002/cne.23884

 

Eguchi E., Ohira T., & al. (2021). On Behalf Of The Fukushima Health Management Survey Group. Association between Laughter and Lifestyle Diseases after the Great East Japan Earthquake: The Fukushima Health Management Survey. Int J Environ Res Public Health. 2021 Dec 2;18(23):12699. doi: 10.3390/ijerph182312699. PMID: 34886425; PMCID: PMC8657190.

 

Manninen, S., Tuominen, L., Dunbar, R. I., Karjalainen, T., Hirvonen, J., Arponen, E., & al. (2017). Social laughter triggers endogenous opioid release in humans. J. Neurosci. 37, 6125–6131. doi: 10.1523/JNEUROSCI.0688-16.2017

 

Provine, R. R. (1992). Contagious laughter:laughter is a sufficient stimulus for laughs and smiles. Bull. Psychon. Soc. 30, 1–4. doi: 10.3758/BF03330380

 

Micaela De Weck, Benoît Perriard, Jean-Marie Annoni & Juliane Britz. (2022) Hearing Someone Laugh and Seeing Someone Yawn: Modality-Specific Contagion of Laughter and Yawning in the Absence of Others. Frontiers in Psychology

 

Sroufe, L. A., & Waters, E. (1976). The ontogenesis of smiling and laughter: a perspective on the organization of development in infancy. Psychol. Rev. 83, 173–189.

 

Provine, R. R. (2013). Laughing, grooming, and pub science. Trends Cogn. Sci. 17, 9–10. doi: 10.1016/j.tics.2012.11.001.

 

Panksepp J., Burgdorf J. (2003). “Laughing” rats and the evolutionary antecedents of human joy? Physiology & Behavior, Volume 79, Issue 3, 2003, Pages 533-547, ISSN 0031-9384, https://doi.org/10.1016/S0031-9384(03)00159-8.

 

Szameitat, D. P., Darwin, C. J., Szameitat, A. J., Wildgruber, D. & Alter, K. (2011). Formant characteristics of human laughter. J. Voice 25, 32–37. doi: 10.1016/j.jvoice.2009.06.010

 

Makagon, M. M., & al. (2008). An acoustic analysis of laughter produced by congenitally deaf and normally hearing college students. J. Acoust. Soc. Am. 124, 472–483. doi: 10.1121/1.293 2088

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