La «morale laïque» et de la formation générale

La «morale laïque» et de la formation générale

 

De sa «boîte à outil» pour refonder l’école, le ministre français de l’éducation, Vincent Peillon, a récemment fait jaillir la «morale laïque», dont l’enseignement «doit faire appel à la réflexion des élèves» et «[les] impliquer pour les amener à construire leur propre jugement».

Ici, le Plan d’études romand (PER) fait la part belle à la Formation générale (la Suisse romande est d’ailleurs citée dans le rapport remis à Vincent Peillon). Formation générale qui se décline en «santé et bien-être»; «vivre ensemble et exercice de la démocratie»; «interdépendance » et «identité». (Les MITIC se situent dans la Formation générale plutôt par défaut…) Une Formation générale dont les objectifs sont de «développer la connaissance de soi sur les plans physique, intellectuel, affectif et social pour agir et opérer des choix personnels »; «prendre conscience des diverses communautés et développer une attitude d’ouverture aux autres et sa responsabilité citoyenne»; «prendre conscience de la complexité et des interdépendances et développer une attitude responsable et active en vue d’un développement durable». Formation générale, dont il est dit aussi qu’elle «favorise la construction d’argumentations et le débat».

La Formation générale est basée sur la Déclaration de la CIIP du 31 janvier 2003, relative aux finalités et objectifs de l’école publique. La morale laïque de Peillon, comme la Formation générale, véhicule et promeut donc des valeurs (dignité, liberté, égalité – notamment entre filles et garçons –, solidarité, esprit de justice, respect et absence de discrimination, chez Peillon). Valeurs dont elle vise l’appropriation libre et éclairée. C’est, peu ou prou, ce que l’on trouve également dans la Déclaration de la CIIP de 2003, qui évoque, elle, des valeurs «sociales». Résumons: ce qui est demandé aux enseignants, tant en France qu’en Suisse romande, est de mettre en débat les thèmes évoqués plus haut, de les documenter, de les éclairer et, partant, de présupposer que les élèves, par la confrontation d’idées, rejoindront naturellement et obligatoirement ces valeurs, reconnues alors comme universelles et fondatrices de la démocratie et de ce qui est appelé faute de mieux le «vivre ensemble». Par conséquent, il s’agira de remettre dans le droit chemin celle ou celui qui, à l’issue du débat, jugerait désirables ou défendables des approches telles que l’égoïsme, l’enrichissement personnel, la captation des biens, la satisfaction immédiate des désirs, la peine de mort ou, au contraire, l’opposition au droit d’avorter.

Au nom de la liberté de pensée et du jugement librement construit, on interdira toute orientation divergente. Et on exclura celles et ceux qui, d’une autre culture, pensent autrement. Le «vivre ensemble» devient alors de fait le «vivre comme nous». Au nom de notre liberté de penser, on interdira les pensées alternatives. Voilà un premier paradoxe. Deuxième paradoxe: force est de reconnaître que les valeurs prônées par les textes légaux ou les directives scolaires se heurtent à celles de la vie ordinaire, dans un monde où, en particulier, la majorité politique est plutôt du côté des nantis et de l’hyperconsommation et où le meurtre et le vol, bien qu’interdits, restent la base de la littérature ou des séries télévisées. Certains vont plus loin, qui estiment que sous la morale laïque (et tout se passe comme si on pouvait en dire autant de la Formation générale) se cache une «guerre faite aux pauvres». Ainsi le philosophe Ruwen Ogien dont il convient de lire le dernier ouvrage*. Celui-ci affirme que le retour de la morale laïque serait à envisager dans le cadre des «tentatives pour expliquer la situation des défavorisés par des déficits moraux des individus, plutôt que par les effets d’un système social injuste à la base, et d’une redistribution des bénéfices de la coopération sociale et économique qui ne permet pas de compenser les handicaps initiaux».

C’est avec ces paradoxes que se débattent les enseignants au quotidien. Ruwen Ogien est optimiste. Il affirme qu’il y a de grandes chances que le projet français se perde en chemin. Chez nous, il n’en est pas de même. La bible du Plan d’études est en vigueur. Alors, a minima, qu’on réfléchisse un peu à ces questions avant de, naïvement, appliquer le PER et toutes ses virgules!  

 

*La guerre aux pauvres commence à l’école, Ruwen Ogien, Grasset, 2013.

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