L’attentat contre Charlie Hebdo a suscité (et va en déchaîner encore) une foule de réactions. Stefan Lauper, enseignant et rédacteur cantonal neuchâtelois, nous a envoyé la lettre ci-dessous, rédigée «à chaud», au lendemain du drame.

Aujourd’hui, j’ai tenté d’expliquer à mes enfants pourquoi le meurtre de personnes que je n’avais jamais rencontrées m’a touché en plein coeur. Au-delà de ce qui appartient à l’intimité de mon histoire personnelle (ma construction identitaire autour de figures rebelles, l’adolescent qui s’éveille à la vie comme elle est vraiment: terrible, dérisoire et cruelle; mais c’est la seule qu’on ait dans ce monde et elle peut être si belle), j’ai voulu mettre ce que j’avais de paroles à portée de voix, dans une tentative, pleine d’un espoir fragile et naïf, de leur faire sentir les choses que je trouve importantes, et qui, donc, sont importantes! Tous ces artistes étaient LES artistes par lesquels j’ai vu le monde autrement que comme on (mes parents, mes profs, les gens bien intentionnés) voulaient que je le voie... J’ai compris plus tard que nous avions tous la capacité de voir le monde comme il était, mais que la plupart des adultes préféraient (ou se trouvaient, pour un tas de raisons plus ou moins acceptables, contraints de préférer) voir le monde comme on leur avait appris à le voir. Moi-même, bien souvent, je me raconte des histoires pour continuer à raconter des histoires à mes enfants...

Mais aujourd’hui, j’ai tenté de ne pas leur raconter d’histoires; de leur dire que les méchants n’ont pas de fusils. Que ceux qui tuent sont fous. Que les vrais méchants, loin d’être fous, veulent nous faire croire qu’il y a des êtres mauvais et des êtres bons; que nous sommes du côté des bons et qu’il nous faut éliminer les mauvais. Notre drame, c’est qu’il n’existe aucun moyen humain, direct et efficace de faire comprendre que la plus grande lutte est celle qui doit être menée contre soi-même, contre les élans reptiliens qui s’activent si vite en chacun de nous lorsque nous croyons avoir détecté l’ennemi...

«L’ennemi est con: il croit que c’est nous l’ennemi» (Pierre Desproges).

Mes enfants, je vous souhaite de ne pas vous tromper de lutte et, si vous n’êtes pas victorieux, de mener au moins le juste combat!