SPG: Orthografe rectifiée, le nouveau péril mortel ? - 10/2021

SPG: Orthografe rectifiée, le nouveau péril mortel ?

Une nouvelle motion

En ce début d’année, je manquai m’étouffer avec mes points médians en découvrant la motion 2697 « Pour le respect du français académique, non à l’écriture inclusive » défendue dans l’émission Forum par Murat Alder, peut-être en mâle d’attention. Sans rougir, ce pourfendeur de l’écriture inclusive invoquait le souci de préserver les élèves dyslexiques et allophones d’une langue « inutilement alourdie ». Ravie de cet intérêt soudain pour les élèves fragilisé·es dans leurs apprentissages par une langue inutilement complexe, je saisis assurément l’occasion dans un précédent billet pour lui souffler à l’oreille qu’il existe une réforme orthographique datant de 1990 que la SPG souhaite voir appliquée par la Conférence intercantonale de l’instruction publique de Suisse romande et du Tessin ( CIIP ) et le DIP depuis plusieurs années. Or, le PLR & consorts ne comprirent pas le ( trop subtil peut-être ) message et, se drapant une fois encore de leurs plus ineptes vertus, lancèrent une pétition contre l’orthographe rectifiée, ce nouveau péril mortel qui accable la langue française.

Il faut néanmoins remercier cette droite conservatrice dont les pétitions et motions itératives, tels les marronniers de la presse, permettent de questionner publiquement l’évolution de la langue. Paradoxalement, en France comme en Suisse, on ne parle d’orthographe que lorsqu’un spécialiste autoproclamé de la beauté de la langue française demande, peu s’en faut, d’introduire un jour de deuil national pour les très regrettés accents circonflexes. En voulant « protéger » le français et imposer leur vision de la langue, ces réactionnaires permettent à l’inverse aux usagères et aux usagers du français de s’approprier ce débat. Dans quelques années, il nous faudra peut-être leur ériger des statues pour avoir contribué in fine à diffuser une langue plus juste et égalitaire.

 

Contradictions inconciliables : entre désinformation, incompétence et discrimination

En attendant, à l’instar des membres de l’Académie française, ces messieurs ne sont ni linguistes, ni grammairiens ni historiens de la langue et ce qu’ils défendent est une idéologie réactionnaire. Cet engagement de la droite dans des combats en apparence contradictoires pour lutter d’une part contre un langage exclusif ( sic ), sous prétexte de préserver les élèves allophones et dyslexiques de l’écriture inclusive, et d’autre part lutter pour préserver une orthographe volontairement complexifiée, composée de règles absconses, ne démontre finalement qu’une farouche volonté de maintenir une distinction de classe et de genre à travers une langue élitiste et sexiste.

La réforme qui chagrine tant ces amoureux transis d’une orthographe classiste date pourtant de 1990. Elle a été édictée par le Conseil national supérieur de la langue française dans le but de proposer une orthographe alternative, plus proche de l’usage, pour certains mots. Ces règles ont même été validées dans un premier temps par l’institution archaïque qu’est l’Académie française. Contrairement à ce que tentent donc de faire croire les signataires de cette pétition, la CIIP se contente de reprendre cette réforme et d’appliquer ses règles qu’elle traduit en quatorze principes. En s’égosillant auprès de qui veut bien les écouter que « la langue n’appartient pas à la CIIP mais au peuple tout entier », ces patriarches mènent une guerre politique pour une orthographe discriminante. Toutefois, outre la désinformation qu’ils propagent, il ressort notamment de leur discours une confusion entre l’orthographe et la langue. L’orthographe est un code graphique qui devrait permettre d’accéder à la langue, et non en constituer pour beaucoup le principal obstacle. En s’accrochant à une orthographe présentée comme historique et immuable, ces historiens du dimanche tentent avant tout d’invisibiliser son histoire et de nous asservir à cette dernière pour que la langue et l’expression demeurent l’apanage de l’élite.

Pourtant, même l’orthographe évolue et l’historien Bernard Cerquiglini rappelle que l’Académie française introduit l’accent circonflexe dans l’orthographe du français seulement en 1740, après deux siècles de ferventes polémiques. Naguère « champion de l’innovation, du progrès et de la modernité », il est, « avec une opiniâtreté non moins égale, rejeté et moqué par les tenants de l’orthographe traditionnelle ». L’académicien François Eude de Mézeray qualifie d’ailleurs celui qui semble incarner aujourd’hui le symbole de la langue française de « chevron malcommode et disgracieux ». Cette graphie intronisée championne de la tradition française illustre pourtant l’évolution de l’orthographe niée par une élite dominante qui critique le présent au nom d’une histoire fantasmée.

En 1673, toujours, notre ami François Eude, lorsqu’il se voit confier la noble tâche d’établir des règles d’orthographe, estime que l’Académie doit préférer « l’ancienne orthographe, qui distingue les gens de Lettres d’avec les Ignorants et les simples femmes ». Cette orthographe sciemment complexifiée pour des raisons sociales devient donc un outil de discrimination et aujourd’hui encore, il faut démontrer la maitrise du code pour bénéficier d’un accès légitime à l’expression. L’orthographe comme code graphique de la langue devrait être un outil au service de l’expression et de la compréhension, donnant des informations sur la prononciation, la syntaxe et l’histoire des mots. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’orthographe était d’ailleurs considérée comme un usage qui devait évoluer pour suivre notamment les évolutions phonétiques. Entre le XVIe et le milieu du XIXe, l’orthographe est réformée environ deux fois par siècle et ne se fige que lors de la démocratisation de l’école primaire. Or, l’hystérésis graphique imposée par l’élite dominante depuis près de deux-cents ans, éloigne progressivement l’orthographe – la rendant de moins en moins cohérente et de plus en plus compliquée – de la prononciation de la langue. Pourtant, ceux qui nous accusent inlassablement de massacrer la langue de Molière devraient parfois se souvenir que ce dernier écrivait orthographe avec un f.

 

L’orthographe, outil de la violence symbolique

L’inanité du propos soutenue par leur seul égo, ces protecteurs d’une idée fétichisée du français déposent fin aout la motion 2782 qu’ils n’ont pas honte d’intituler « Pour une langue vivante qui appartient à ceux qui la pratiquent ! ». Le discours normatif qui est celui de ces puristes de la langue, visant essentiellement à préserver nombre d’arguties orthographiques et des graphies désuètes, entretient avant tout un sentiment général d’insécurité linguistique. Ce qui est donc défendu dans cette motion n’est pas une langue qui appartient à « tout le monde », mais la langue telle que la pratique cette élite qui cherche à renforcer sa domination et cultiver son entre-soi. Il ne lui a pas échappé que le langage ne sert pas uniquement à exprimer une pensée, mais qu’il joue au contraire un rôle actif dans les interactions sociales. Ce sont justement ces mécanismes d’opposition et de hiérarchisation qui permettent d’établir une violence symbolique rappelant aux locutrices et locuteurs quelle est leur place dans la hiérarchie sociale. Ce n’est donc pas une lutte pour la beauté de langue que mènent ces dévots de l’orthographe - qui sont-ils d’ailleurs pour légiférer sur la beauté ? –, mais bien une lutte contre l’égalité. Si l’enjeu latent est la domination, dénigrer les frustres qui vont « au coiffeur » tout en défendant le droit de « 343 salauds », Begbeider, Bedos et Zemmour en tête de file, d’aller « aux putes » relève bien de la même logique. Cette obsession nécrophilique qui caractérise leurs discours ne poursuit pas d’autre objectif que de gangréner le débat public inhibant tout esprit critique, en imposant leur vision hégémonique de la langue.

La langue, outil d’émancipation

Pourtant, la langue appartient à celles et ceux qui la parlent et elle évolue malgré la volonté séculaire de la figer. Si la langue constitue un outil important de la violence symbolique catégorisant et hiérarchisant nos rapports sociaux, elle est également un formidable outil d’émancipation et de résistance sociale. Les militant·es se sont approprié·es de longue date la langue comme objet de lutte. Changer la langue pour changer le monde, même si heureusement, le temps et le monde finissent toujours par changer la langue. La langue n’est pas l’orthographe. La faculté d’écrire ne se limite pas à la faculté de graphier. Ne laissons pas ces idéologues incompétents enfermer le français dans une orthographe incohérente et trop souvent arbitraire qui maintient surtout les inégalités. La langue est à nous. Ensemble, continuons à écrire son histoire, même si pour ce faire, son orthographe doit changer. Un peu. 

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