SEfFB: Lettre d’un ancien cancre à son institutrice récemment décédée - 10/2022

SEfFB: Lettre d’un ancien cancre à son institutrice récemment décédée

 

Sans elle, que seraient devenus Alain, Carole, Danièle, Nicolas et tous les autres ?

Il y a quelques jours, lisant mon quotidien régional en buvant un café noir bien chaud dans un estaminet où j’ai mes habitudes, je me suis machinalement attardé sur la page des avis mortuaires. Un nom et un prénom ont mis mon cerveau et ma mémoire en alerte. Saperlipopette ! Il s’agit bien de Mademoiselle XX. Au début des années septante, elle fut une de mes premières institutrices. Sans elle, je ne serais pas devenu qui je suis. Alain, Carole, Danièle, Nicolas et tous les autres non plus.

De retour chez moi, je me suis plongé dans mon tiroir à souvenirs. En ai exhumé une vieille photo de classe et le fameux « album de souvenirs » dans lequel nombre de copines et de copains d’école avaient laissé un dessin. Elle aussi, d’ailleurs. Son dessin représentait le Petit Prince de Saint-Exupéry avec une jolie dédicace. J’ai passé une nuit quasi blanche à égrainer les moments passés avec elle. Grâce à elle, je me suis éveillé au monde et me suis aussi un peu révélé.

Tout avait commencé le jour de l’entrée en classe. J’étais un peu terrorisé, mais déjà trop fier pour laisser transparaitre mes sentiments les plus profonds. Pour nous rassurer, elle nous avait accueillis, un par un, par nos prénoms. Alain, Carole, Danièle. Nicolas et les autres étaient là. Pour certains, nous nous connaissions déjà depuis l’école enfantine. Mais là, nous comprenions que les choses sérieuses commençaient. Le cordon ombilical était coupé pour la deuxième fois.

L'origine des mots

Après nous avoir enseigné les premiers rudiments de la lecture et de l’écriture, notre institutrice nous avait ensuite initiés au fameux concours du dictionnaire. Ma discipline préférée. Celle dans laquelle j’excellais. Il m’arrivait d’ailleurs souvent de m’y entrainer chez moi le soir avant de m’endormir. Le jeu était simple. Nous devions former des groupes de quatre ou cinq élèves. Chacun désignait ensuite son ou sa « capitaine ». Mademoiselle XX prononçait ensuite un mot. Et nous devions au plus vite le trouver dans Le Petit Larousse à notre disposition. Puis l’écrire sans se tromper.

Mon équipe gagnait presque toujours, car l’amour irrésolu et parfois excessif des mots et de la langue française date de cette époque. Chrysanthème. Ornithorynque. Rhododendron.

En m’invitant à ouvrir ce dictionnaire, elle m’avait aussi fait prendre conscience que les mots ont une origine. Et que celle-ci est parfois étonnante. Bien sûr, beaucoup d’entre eux avaient des origines latines ou grecques. Mais j’avais éprouvé une joie mâtinée de fierté en apprenant que certains de ces mots venaient de la langue arabe. C’est le cas de la plupart commençant par « al », comme alambic, alcool ou algèbre. Une révélation.

Cette institutrice nous avait aussi bien sûr initiés à l’arithmétique, encore un nom difficile à écrire. De loin pas ma discipline favorite. Mais sans elle et sa science, j’aurais été démuni quand j’allais dépenser mes 5 francs d’argent de poche mensuels en sucreries dans l’épicerie du coin. Un jour, j’avais même pu, grâce à mes connaissances fraichement acquises, quasi encyclopédiques, avoir le courage de dire à la vendeuse : « Madame ! Vous vous êtes trompée dans votre calcul. Ça ne fait pas 4 francs 70, mais seulement 4 francs 60 ! »

De la bibliothèque à la gymnastique

Un après-midi, l’institutrice dont je viens d’apprendre le décès nous avait emmenés à la Bibliothèque municipale. À la maison, il y avait bien sûr quelques livres, mais j’ignorais qu’il puisse en réalité en exister autant. La découverte des rayonnages de la section « enfants et jeunes » de la Bibliothèque municipale fut, elle aussi, une révélation. Les mots que l’institutrice nous obligeait à écrire « comme il faut » avaient donc un sens. Alignés les uns aux autres, ils permettaient de raconter des histoires. Et aussi de découvrir l’Histoire.

Car oui. Cette institutrice qui fut « inhumée dans la plus stricte intimité familiale » avait aussi confirmé que des gens avaient vécu sur Terre avant nous. Qu’ils nous avaient légué un héritage encore perceptible, par exemple dans l’architecture, les noms des places et des rues ou même parfois dans le nom des écoles.

Notre école primaire se situait non loin de la forêt. Il n’était donc pas rare d’aller suivre des cours de sciences naturelles ou de biologie en pleine nature. Accroupis, inclinés de manière quasi religieuse, nous découvrions et observions avec étonnement et émerveillement les insectes, les invertébrés et quantité de plantes aux noms souvent imprononçables. De retour en classe, nous avions parfois le droit d’observer au microscope une partie de notre « butin ». Je ne me suis jamais relevé du choc ressenti lors de la découverte et de l’observation des cellules végétales d’un oignon. Avec ou sans « i » !

Il y avait enfin les leçons de gymnastique. Paradoxalement un des rares moments où j’oubliais mon handicap physique évident. Ou plutôt où je faisais l’effort de le surmonter afin d’être « comme les autres ». Cette institutrice m’y encourageait en me donnant le brassard de capitaine. Un peu comme au jeu du dictionnaire …

Ému et reconnaissant

Ce soir-là, après avoir appris le décès de l’institutrice de ma petite enfance, en me penchant de longues minutes sur cette photo de classe jaunie du début des années septante, je me suis demandé ce qu’étaient devenus mes camarades. Quelques-uns sont hélas déjà décédés. Mais Alain est devenu un brillant chercheur en neurologie, peut-être sur le point de mettre au point un traitement de la maladie de Parkinson. Se serait-il lancé dans cette voie ardue de la recherche si, un matin, notre institutrice ne lui avait pas fait découvrir un microscope ? À l’autre bout du monde, Carole consacre depuis vingt ans sa vie à panser les monstrueuses blessures de victimes de mines antipersonnel. Aurait-elle dédié sa vie à cette noble cause si notre institutrice ne nous avait pas fait découvrir un globe terrestre ? Danièle est devenue une brillante juriste. Le serait-elle devenue si elle n’avait pas appris, grâce à elle, le sens des mots ? Nathalie est devenue une excellente femme d’affaires. Le serait-elle sans l’existence de cette institutrice qui nous avait appris à compter ? Et si Nicolas continue d’exercer avec talent son métier de peintre en bâtiment, ne le doit-il pas aussi un peu à elle qui, très tôt, avait su identifier ses capacités ?

L’ancien cancre que je fus est ému et reconnaissant. Grâce à elle j’ai pu apprendre à lire, écrire, compter et m’émanciper. Elle avait à l’évidence consacré une partie importante de sa vie à s’occuper de nous et à nous transmettre une partie de son immense savoir.

Ce matin-là, en apprenant son décès, mon café avait un gout bien amer. Son avis mortuaire tenait en quelques lignes. Quelques lignes pour une vie entière dédiée à l’enseignement.

 

Merci du fond du cœur. 

 

Mohamed Hamdaoui

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