Pédagogie épistolaire - 2/2023

Pédagogie épistolaire

La confiance en soi – Une question de pédagogie

 

Par Zakaria Serir

 

L’association N’Autre École Publique a depuis plusieurs années l’avantage d’échanger avec des enseignant·es des cantons romands sous un format épistolaire. Celles et ceux-ci rencontrent des difficultés dans leurs pratiques ou font simplement état de questionnements. L’idée de la présente rubrique découle directement de cette pratique d’échanges écrits. Mais elle illustre aussi une volonté des professionnel·les eux-mêmes de faire profiter d’autres lecteur·trices des riches échanges. Ainsi, les lecteur·trices découvriront des lettres anonymisées et retravaillées. Regroupés sous l’appellation de « pédagogie épistolaire », les textes présentés font l’état des questions vives que se posent les enseignant·es. Ils sont également un moyen d’y répondre ou d’ouvrir une réflexion.

 

 

 

Chère Inès,

Je te remercie pour ton téléphone de la semaine passée qui, je tiens à te le dire, m’a beaucoup réjoui. Nous avons l’habitude dans notre métier de voir, à tort, les côtés négatifs de notre travail. Si je tiens à te remercier, c’est parce que tu as su attirer mon attention sur l’un des aspects les plus importants de notre métier : la confiance en soi. J’entamerai ainsi cette lettre en reprenant tes mots, car il n’y a rien de plus joliment raconté que cet extrait de vie que tu as partagé avec moi mardi dernier. Je me suis laissé le droit de réécrire ce que tu m’as dit par téléphone. J’ai essayé, avec mes mots, d’écrire ce que tu m’as si bien décrit.

 

« Natalia a pris un livre ce matin. Sans trop se poser de question, elle est allée vers la bibliothèque. Elle a choisi un gros livre avec plein d’images. Je l’ai vu faire et je n’ai rien dit. Du haut de ses six ans, elle s’est assise à même le sol pour lire.

Natalia n’a pas osé prendre un seul livre depuis qu’elle a rejoint notre classe en octobre. Je me suis acharnée de toutes les façons à la faire lire, ne serait-ce qu’une lettre. Rien n’y faisait pourtant. Elle refusait de prendre un livre. Elle semblait terrorisée à l’idée d’avoir l’objet entre ses mains. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi. Je ne le sais d’ailleurs toujours pas.

Ce matin, Natalia a pris un livre sans rien dire à personne. Elle s’est assise et, sous le soleil de la fenêtre qui tapait fort, elle l’a ouvert. D’abord au milieu, puis elle a retourné le livre et l’a feuilleté à l’envers. Je me suis dirigé vers elle pour l’aider. Mais, voilà à peine que j’eusse fait deux pas qu’elle s’était retournée. J’ai alors compris que je devais la laisser seule. Elle tournait les pages, de plus en plus vite, agrippée au livre comme au guidon d’un vélo. Elle semblait s’encourager : « lis sans t’arrêter », « vas-y », « bravo » ! J’ai à ce moment totalement lâché prise. J’ai détourné mon regard. Natalia a pris de la vitesse. Elle lisait sans l’aide de personne. Lorsqu’elle s’en aperçut, elle cria de joie. Elle se sentit légère, libre. Elle avait confiance. Mais en quoi ? »

 

Tu me poses la question de pourquoi Natalia avait confiance en elle à cet instant ? J’essaierai de te répondre. Mais, avant cela, je veux te dire que tu as eu sous les yeux le plus grand bonheur : cet instant magique où l’enseignant·e ne sert plus à grand-chose. C’est paradoxal, n’est-ce pas ? J’ai trop peu connu ce moment de grâce dans ma pratique. Mais, une chose reste sure, lorsque cela m’est arrivé, j’étais à la fois étonné et heureux.  L’idée de cette lettre n’est pas de te faire une description de comment je me suis senti à la suite de ces moments de pur bonheur pédagogique. Mon propos essaie, à moindre mesure, de comprendre ce qui se passe lorsqu’un·e élève prend conscience de ses capacités et qu’il·elle accède ainsi à une confiance suffisante pour entrer de lui-même, d’elle-même dans un apprentissage. Il faut donc commencer par interroger la confiance. Que veut-dire avoir confiance en soi ?

La confiance résulte de plusieurs facteurs. Les chemins qui y conduisent sont aussi nombreux que différents. Pourtant, une fois acquise, la confiance a cette particularité de nous emporter d’une manière assez similaire. Ce que je veux dire, c’est qu’il n’existe qu’une seule confiance en soi, là où les manières de l’atteindre sont plurielles. Natalia sera un bon exemple pour nous aider à comprendre comment la confiance en soi se gagne et comment l’enseignant·e peut s’investir avec ses élèves pour que cette confiance soit un objectif à atteindre. Je ne pense pas qu’il soit ici nécessaire de définir ce qu’est la confiance en soi. Nous avons toutes et tous une idée plus ou moins précise de cette notion. Celle-là suffit pour comprendre les propos que je développe. Selon moi, ce qui importe davantage, c’est la manière d’y accéder, car c’est en se souciant de cette confiance que nous pourrons travailler à rendre nos élèves confiant·es.

 

Origine de la confiance en soi

 

La confiance trouve son origine dans trois sources. D’abord dans l’environnement qui entoure l’élève. Dans le cas de Natalia, cet environnement renvoie aux autres enfants de la classe et, évidemment, à toi : l’enseignante. En lisant l’extrait, nous avons certes l’impression que Natalia s’est intéressée à la lecture par elle-même. En effet, c’est bien elle qui en a pris l’initiative. Mais, elle ne s’est pas élancée dans cette tâche toute seule. C’est bien parce que tu as essayé plusieurs fois de la motiver à lire, que tu l’as certainement préoccupée positivement par cette tâche, ceci même si ses refus étaient nombreux, que Natalia a fini par s’élancer sans aide. Elle l’a pourtant fait avec toi et non pas grâce à toi. Il faut donc garder à l’esprit que tout ce que l’enseignant·e propose aux élèves aura une incidence sur eux et elles. La confiance en soi est ainsi préalablement une confiance en l’autre.

La confiance en soi concerne ensuite les capacités de l’élève. Natalia a sans doute intégré les différents enseignements que tu as donnés depuis son arrivée dans ta classe en octobre. Aucun·e enfant ne reste inactif·ve devant un apprentissage ; même si la première impression peut laisser croire à l’enseignant·e que l’enfant ne fait ou n’apprend rien. Natalia a sans aucun doute intégré tes conseils. Elle a vu les autres élèves de la classe prendre un livre, lire et elle a donc développé des capacités. Alors que tu pensais que Natalia était passive, elle acquérait des compétences, sans lesquelles rien de ce que tu m’as décrit n’aurait été possible. L’enseignant.e doit donc garder cette idée en tête : un·e enfant n’est jamais en train de ne rien faire. Son rythme d’apprentissage est différent de celui des autres. Mais, il ou elle demeure actif·ve ; ceci même si l’impression première peut laisser prétendre le contraire. La confiance en soi est dès lors une confiance en ses capacités.

La confiance en soi est enfin une affaire de satisfaction. Effectivement, la joie qui submerge Natalia pendant l’exercice, ainsi que la manière avec laquelle elle semble prendre de l’aisance, illustre d’une façon très juste comment cette même confiance dépasse la simple satisfaction de savoir faire quelque chose ( lire dans notre cas ). L’enthousiasme d’avoir accompli la tâche – et ceci même si l’enseignant·e ne peut pas véritablement s’assurer que Natalia soit en train de lire – est plus profond et global. C’est une joie qui résonne comme une réjouissance intérieure. La confiance en soi est donc une confiance en ses capacités à venir.

 

Apprendre comporte des risques

 

L’enfant a trop vite fait de comprendre que l’apprentissage comporte des risques. Ceci l’est d’autant plus dans un système scolaire qui – ne nous gardons pas de le dire – met l’accent sur la performance et la compétitivité. Natalia a certainement conscience de ce risque et des dangers qui pourraient advenir. Ne pas être capable de lire, dans le temps imparti par les programmes scolaires, est un risque que les élèves saisissent bien plus vite que nous l’imaginons. Laisser l’enfant prendre son temps pour développer ses compétences est également un risque que l’enseignant·e prend. À nous, enseignant·es concerné·es, d’en juger le degré. Je suis, pour ma part, de l’avis qu’il est profitable de laisser l’élève prendre son temps ; étant donné que, comme je l’ai dit précédemment, aucun·e élève ne reste passif·ve devant les apprentissages que nous leur proposons. Certain·es sont preneur·euses dans l’immédiat, alors que d’autres ont un rythme différent. Ceci dit, il faut une nouvelle fois garder en tête qu’un·e enfant placé devant un apprentissage risqué est anxieux·se parce·e qu’il·elle est lucide. À nous enseignant·e, une nouvelle fois, de comprendre et de respecter cette lucidité en proposant des activités où cette même lucidité n’affaiblit pas leur courage ; c’est-à-dire leurs capacités d’oser à y aller.

Sur ce sujet, je n’ai jamais été assez étonné de constater à quel point les enfants nous devançaient. La confiance en soi est bien un caractère enfantin – au sens noble du terme –, car il faut une grande part de confiance pour apprendre tout ce qu’un enfant peut apprendre dans un laps de temps aussi court. Les institutions scolaires et l’éducation moderne nous y contraignent davantage. Il faut apprendre abondamment et vite – trop vite pour beaucoup d’enfants. Encore, l’école prétend être un levier contre les inégalités sociales. Il faut néanmoins plein de confiance en soi pour s’investir dans des apprentissages dont le résultat seul décidera de notre droit à passer d’une classe sociale à l’autre. Pour un très grand nombre d’élèves, à l’école, il y a donc tout à conquérir ; et les étapes à franchir seront trop souvent vertigineuses. La modernité, avec laquelle j’ai l’habitude d’être critique, prétend faussement de notre liberté. Elle fait croire à beaucoup d’enseignant·es que la réussite scolaire ne dépend que de soi et donc de sa propre responsabilité. Or, pour beaucoup d’élèves, l’investissement qu’ils·elles apportent dans leurs apprentissages ne suffira pas. L’école est encore un trop grand levier de reproduction sociale. Et, pour les élèves qui l’auront compris, il faudra une dose plus importante de confiance en soi pour résister aux adversaires de leur réussite ainsi qu’aux épreuves, plus difficiles pour certain·es que pour d’autres, qu’ils·elles devront franchir. Transmettre à nos élèves la confiance nécessaire sera dès lors un excellent moyen de leur donner la force de résister et surtout de croire – même lorsque l’école leur dira l’inverse – qu’ils·elles seront capables de grandes choses.

À nous enseignant·es de penser nos pédagogies pour qu’elles intègrent pleinement le travail sur la confiance. Ce travail sera l’occasion parfaite pour laisser à nos élèves la chance de porter leurs projets, de se prouver leur valeur et de construire leur bonheur avec les autres. Enfin, à nous enseignant·es de leur laisser le droit d’inventer leur vie. Et, bien entendu, tout cela suppose au préalable d’avoir confiance en soi.

 

La confiance en soi: une question pédagogique  

 

Je ne pourrais pas motiver les enseignant·es à s’engager sur le chemin de la confiance si je n’indique pas, en guise de conclusion, des idées plus ou moins détaillées sur les manières dont ils·elles peuvent mettre en place une pédagogie qui tienne compte du développement de la confiance des élèves. Certes, la confiance en soi est au programme des plans d’études. Pourtant, force est de constater que beaucoup d’entre nous peinent encore à donner vie à cette confiance dans nos classes. Évidemment, mon propos ne cherche ni à accuser ni à blâmer nos collègues, mais bien de rappeler qu’il nous est extrêmement difficile d’honorer cet objectif dans une école qui ne nous laisse ni le temps ni la place pour le faire. Nous ne sommes pas coupables des contraintes et des contradictions de nos institutions. Mais nous sommes responsables de la bonne santé mentale des enfants qui occupent nos classes. Et, tel que tu nous l’as si bien montré, je ne me suffirais pas de répéter à quel point la confiance en soi est essentielle à la réussite scolaire de nos élèves. Ceci dit, en quoi la pédagogie peut être un levier intéressant pour travailler sur la confiance de nos élèves ?

Comme tu me l’as dit au téléphone, nos inquiétudes devraient toujours être bien plus vastes que les apprentissages purement didactiques de nos élèves. En effet, notre travail ne porte pas seulement sur les moyens concrets que nous pouvons mettre en place au quotidien pour favoriser un enseignement qui tienne compte du développement de la confiance en soi. Il faut aussi que nos préoccupations portent sur l’essence même de notre travail, c’est-à-dire sur nos engagements dans la société. Nous avons bien toutes et tous été à un moment de notre carrière motivé·es par les valeurs de notre métier. Et c’est sur ces mêmes valeurs qu’il faut continuer de travailler.

Penser une pédagogie qui favorise le développement de la confiance en soi n’est en rien un dernier cri. Ce n’est pas non plus une approche particulièrement nouvelle ; ni même révolutionnaire. Il est difficile de mettre le doigt sur les conditions exactes en matière de développement de la confiance. Je suppose même que dès les balbutiements de la pédagogie, sans doute avec Rousseau, la question de la confiance en soi s’est posée. Il faut aussi garder en tête que l’éducation scolaire n’est pas un processus naturel du tout. Elle est même assez artificielle pour son genre. Pourtant, il y a bien dans cette éducation des moyens pour rendre les élèves confiant·es. J’en ai en partie décrit certains points et l’extrait qui m’a servi d’appui est un exemple assez remarquable en la matière.

Pour parler de confiance en soi en éducation, je pense qu’il faut garder à l’esprit trois points qui me paraissent fondamentaux. Le premier concerne le but de l’éducation : celle-ci doit favoriser l’apprentissage dans la joie et dans la découverte du bonheur. Le deuxième renvoie à l’école : celle-là doit s’adapter à l’enfant ( et non l’inverse ). Le troisième concerne l’absence de crainte : car il faut être serein pour se trouver dans les meilleures conditions pour apprendre. Ces trois points feront peut-être bondir quelques-un·es d’entre nous. Mais, il ne s’agit pas ici de débattre sur la véracité de ces points ni sur leur opérationnalité réelle. Je pense simplement que si nous réfléchissons à une pédagogie qui inclut pleinement ces trois points, alors nous pourrons favoriser un environnement d’apprentissage propice au développement de la confiance en soi.

Pour élucider cette problématique, nous pouvons encore nous tourner vers la philosophie. Les notes bibliographiques 1 me paraissent être un bon socle pour entrer dans cette thématique ( sans prétendre à la lecture de grand·es auteur·es non plus ). Ce que je relève toutefois, c’est que la question de la confiance en soi est, pour ne pas dire systématiquement, abordée sous la tutelle de la liberté, de la singularité, du courage. La confiance en soi est ainsi centrale à bien des domaines ; même s’il m’est difficile de soutenir que nous pourrions lui trouver des explications uniquement dans la philosophie. Les travaux de psychologie, de psychanalyse ou de sociologie abordent d’une certaine manière tous cette question, car cette dernière renvoie aux problèmes de la liberté, de l’égalité, de l’équité, de la justice, etc. Il faut, pour penser une pédagogie qui prétend développer la confiance en soi des élèves, comprendre que cette même question concerne d’abord notre existence. Pour pratiquer une pédagogie qui se défend de ce nom, il ne faut donc pas l’étudier dans un laboratoire. Elle s’observe et se pratique dans la vraie vie. Elle nait et grandit sous nos yeux ; tel que Natalia a eu assez de confiance en elle pour lire. Elle suit le mouvement singulier de chacun·e de nos élèves. Elle s’accorde sur leur rythme. Elle prend le pas de leurs hésitations. Dans tout ce bric-à-brac, la pédagogie ne vient que porter assistance. Elle accompagne celui ou celle qui apprend, telle une mère ou un père courrait à côté de son enfant qui ferait du vélo ; non pas pour l’empêcher de tomber, mais pour lui dire : « je suis là quoi qu’il arrive. »  

 

 

Bien amicalement,

Zakaria                    

 

 

 

1 Notes bibliographiques :
André, C. & Lelord, F. (1999). L’estime de soi. S’aimer pour mieux vivre avec les autres. Paris : France Loisirs.
Cyrulnik, B. & Pourtois, J.-P. (2009). École et résilience. Paris : Odile Jacob.
Franget, F. (2006). Oser. Thérapie de la confiance en soi. Paris : Odile Jacob.
Holt, J. (2017). How children learn. Paris : Hachette Books.
Neill, A.S. (1981). Libres enfants de Summerhill. Paris : Maspero.
Pépin, C. (2018). La confiance en soi. Une philosophie. Paris : Allary.
Pourtois, J.-P. & Mosconi, N. (2002). Plaisir, souffrance, indifférence en éducation. Paris : PUF.
Virat, M. (2019). Quand les profs aiment les élèves. Psychologie de la relation éducative. Paris : Odile Jacob.

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