Parmi les nombreuses recettes concoctées dans les cuisines du Département, il en est une des plus épicées: la nouvelle évaluation des enseignants. Qui va déguster? 

Quand je considère le système éducatif fribourgeois avec un peu de recul, je suis toujours frappé par la vision de deux mondes qui coexistent, mais qui s’ignorent largement. D’un côté, le Département (la «DICS») produit des lois, règlements, ordonnances qui auront une incidence directe sur le quotidien des enseignants. De l’autre, les profs préparent, enseignent, corrigent dans l’ignorance de ce qui se trame au-dessus de leur tête. Précisons que cette ignorance ne découle pas d’un obscur complot, mais connaît des explications diverses, dont une a notre préférence: beaucoup d’enseignants font simplement confiance au comité de leur association qu’ils chargent de s’informer à leur place...

Mais s’il est un projet qui doit intéresser tout le monde, c’est bien celui-ci: la nouvelle évaluation des enseignants. On me répondra qu’il n’y a aucune nouveauté, les directeurs doivent déjà nous évaluer. Sauf que cette pratique s’est perdue dans le cahier des charges à rallonge des directeurs et que le Département a décidé d’y remédier.

Vous ne le saviez peut-être pas: quatre CO testent un projet pilote depuis un an et demi. Comment serons-nous évalués? A quel rythme? Qui sera en charge de l’évaluation? Selon quels critères et pour quels enjeux? En l’état actuel, voici dans les grandes lignes le concept prévu. Etape 1: un entretien d’évaluation sous la forme d’une visite en classe, suivie d’un rapport coécrit entre évaluateur et évalué. Cette première évaluation est formative; les aspects positifs sont relevés et des points à améliorer peuvent y être décidés. Etape 2: une seconde évaluation formative deux ans plus tard selon le même procédé que la première, mais on vérifie que les objectifs ont été atteints et des possibilités de développement personnel sont évoquées. Etape 3: c’est l’évaluation certificative qui sert de bilan et conditionne la suite de la carrière. Ensuite, le cycle recommence.

Qu’en pense l’AMCOFF? Après avoir observé attentivement la phase pilote, nous avons apprécié l’accent mis sur le développement personnel de l’enseignant; nous veillerons à ce que ce principe fondamental ne soit pas dévoyé par une conception parfois étroite de la hiérarchie au sein de nos écoles. D’autres aspects nous ont franchement déplu, par exemple le flou sur la date des visites en classe qui crée un stress inutile. Autre question délicate: qui évalue? En l’état actuel, nous contestons la compétence des adjoints de direction à évaluer. Comment un adjoint formé pour l’allemand et l’anglais pourrait-il évaluer un collègue qui enseigne les sciences? La seule gestion de classe ne suffit pas, nous voulons également une évaluation de la didactique de branche par des évaluateurs qualifiés.

Soyons clairs, nous sommes favorables à une évaluation des enseignants. Mais elle devra envisager l’enseignant comme un professionnel responsable et être pédagogiquement pertinente.